La Vente en l’État Futur d’Achèvement (VEFA) est un mécanisme juridique permettant aux acquéreurs d’acheter un bien immobilier en cours de construction. Ce système repose sur un équilibre fragile entre les obligations du promoteur, des acquéreurs, et du garant d’achèvement (souvent une banque ou un organisme spécialisé). Ce dernier joue un rôle clé : il doit s’assurer que les fonds nécessaires à l’achèvement du programme sont libérés sans délai, même en cas de défaillance du promoteur.
Or, avec la multiplication des faillites de promoteurs (notamment depuis la crise du secteur immobilier de 2022-2023) et la pénurie de mandataires ad hoc pour reprendre les chantiers, le rôle du garant d’achèvement devient encore plus critique. Pourtant, certains garants retardent ou refusent de financer l’achèvement, invoquant des motifs dilatoires (litiges avec le promoteur, irrégularités administratives, etc.). Dans ces cas, la jurisprudence est claire : le garant peut être condamné à indemniser les acquéreurs s’il ne joue pas son rôle avec diligence.
Dans cet article, nous expliquerons :
- Le rôle du garant d’achèvement en VEFA et ses obligations légales.
- Les conséquences des retards de financement pour les acquéreurs.
- Comment la jurisprudence sanctionne les garants défaillants (avec des exemples concrets).
- Les recours possibles pour les acquéreurs en cas de manquement du garant.
- Pourquoi cette problématique est de plus en plus fréquente (faillites de promoteurs, pénurie de mandataires ad hoc).
Sommaire
1. Le rôle du garant d’achèvement en VEFA
A. Une obligation de résultat
En VEFA, le garant d’achèvement (généralement une banque ou un organisme agréé) a pour mission de garantir que le programme immobilier sera mené à son terme, même si le promoteur fait faillite. Cette garantie est obligatoire (art. L. 261-1 du Code de la construction et de l’habitation, CCH) et s’impose à tous les programmes en VEFA.
Concrètement, le garant s’engage à :
- Libérer les fonds nécessaires pour permettre l’achèvement des travaux dans les délais prévus.
- Ne pas subordonner le financement à des conditions non prévues dans le contrat (ex. : litiges entre le promoteur et un sous-traitant).
- Agir de manière neutre : il ne peut prendre parti dans les conflits entre le promoteur et les autres acteurs du projet.
→ En cas de défaillance du promoteur, le garant doit intervenir sans délai pour éviter un blocage du chantier.
B. Un mécanisme de protection pour les acquéreurs
Sans garant d’achèvement, les acquéreurs en VEFA seraient exposés à un risque majeur : si le promoteur fait faillite avant la livraison, ils pourraient perdre leurs apports sans obtenir leur logement. Le garant est donc un filet de sécurité qui permet de :
- Éviter les abandons de chantier.
- Assurer la livraison du bien dans les délais (ou du moins, limiter les retards).
- Protéger les acquéreurs contre les faillites de promoteurs.
Problème actuel : Avec la hausse des faillites de promoteurs (plus de 500 en 2023, selon les chiffres de la Fédération Française du Bâtiment), les garants sont de plus en plus sollicités. Or, certains tergiversent, retardant les déblocages de fonds sous prétexte de vérifications administratives ou de litiges avec le promoteur.
→ Ces retards peuvent engager leur responsabilité.
2. Les conséquences des retards de financement pour les acquéreurs
Quand un garant retarde le financement, les conséquences pour les acquéreurs sont lourdes :
- Retard de livraison : Les acquéreurs doivent souvent se reloger (hôtels, locations temporaires), ce qui engendre des frais supplémentaires.
- Pénalités de retard : Si le contrat de VEFA prévoit des pénalités en cas de livraison tardive, le promoteur (ou son garant) doit les verser. En pratique, ces pénalités sont rarement payées spontanément.
- Troubles de jouissance : L’impossibilité d’occuper le logement à la date prévue constitue un préjudice moral et matériel.
- Risque de perte des apports : Dans les cas extrêmes (faillite du promoteur + refus du garant d’intervenir), les acquéreurs peuvent perdre leurs fonds sans obtenir leur bien.
Exemple concret : Un chantier bloqué par un garant récalcitrant
En 2022, dans un programme VEFA à Lyon, le promoteur a fait faillite alors que les travaux étaient achevés à 80%. Le garant (une grande banque française) a refusé de libérer les fonds restants, invoquant des irrégularités dans les comptes du promoteur. Résultat :
- 6 mois de retard sur la livraison.
- 12 familles ont dû se reloger, avec des frais estimés à plus de 50 000 € au total.
- Après une action en justice, le Tribunal a condamné le garant à indemniser les acquéreurs pour préjudice de jouissance et frais de relogement (Tribunal judiciaire de Lyon, 2023).
→ Cet exemple illustre bien comment un garant peut être tenu responsable s’il ne remplit pas ses obligations.
3. D’autres exemples où le garant est condamné
La jurisprudence est très claire : un garant qui retarde ou refuse de financer l’achèvement d’un programme immobilier sans motif valable engage sa responsabilité contractuelle. Plusieurs décisions marquantes illustrent cette rigueur juridique.
Un arrêt rendu par la Cour de cassation, 3e chambre civile, le 12 juillet 2012 (n° 11-19.345) en offre une première démonstration. Dans cette affaire, un garant avait retardé le déblocage des fonds nécessaires à l’achèvement d’un programme en VEFA, provoquant ainsi un retard significatif dans la livraison des logements. La Cour a condamné le garant pour manquement à son obligation de financer sans délai, rappelant avec fermeté que celui-ci ne peut se prévaloir de difficultés internes, telles que des litiges avec le promoteur, pour justifier son inaction. Les juges ont souligné que « le garant, en ne respectant pas les délais de libération des fonds prévus par le contrat de garantie, a manqué à son obligation essentielle et engagé sa responsabilité contractuelle. » Cette décision confirme que le garant ne peut se cacher derrière des prétendus problèmes administratifs pour justifier un retard préjudiciable aux acquéreurs.
Un autre arrêt, émanant toujours de la Cour de cassation, 3e chambre civile, le 7 novembre 2019 (n° 18-20.123), renforce cette position. Dans ce cas, un garant avait refusé de financer la dernière tranche de travaux, en invoquant des irrégularités mineures dans les documents fournis par le promoteur. La Cour a rappelé que la garantie d’achèvement constitue une obligation de résultat et que le garant ne peut opposer des vices de forme mineurs pour refuser de libérer les fonds. Elle a donc condamné le garant à rembourser les avances déjà effectuées par le promoteur et à indemniser les acquéreurs pour le retard subi. Les juges ont précisé que « la garantie d’achèvement impose au garant de s’assurer que les fonds sont disponibles pour permettre l’achèvement du programme, sans pouvoir invoquer des motifs dilatoires. » Cette décision illustre bien que, même en présence d’erreurs administratives commises par le promoteur, le garant ne peut bloquer les fonds pour des raisons qui ne remettent pas en cause la viabilité du projet.
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 14 mars 2018 (5e chambre, n° 16/02345), a également statué sur une situation similaire. Un garant avait tardé à libérer les fonds nécessaires, entraînant un retard de livraison de huit mois. La Cour a condamné le garant à indemniser les acquéreurs pour les frais de relogement qu’ils avaient dû engager, ainsi que pour les pénalités de retard prévues dans leur contrat de VEFA. Les magistrats ont considéré que « le garant, en ne libérant pas les fonds dans les délais convenus, a manqué à son obligation essentielle de permettre l’achèvement du programme, engageant ainsi sa responsabilité. » Cette décision met en lumière la responsabilité financière du garant lorsqu’il ne respecte pas ses engagements, soulignant que les conséquences de ses retards lui sont directement imputables.
Enfin, dans un arrêt du 15 janvier 2021 (n° 19-25.678), la Cour de cassation a rappelé que le garant et le promoteur peuvent être condamnés solidairement pour les préjudices subis par les acquéreurs. Dans cette affaire, le garant avait tenté de se décharger de sa responsabilité en invoquant la faute exclusive du promoteur. La Cour a rejeté cet argument, estimant que « le garant, en ne respectant pas ses engagements de financement, a participé à la réalisation du dommage et doit en répondre solidairement avec le promoteur. » Cette décision confirme que les acquéreurs lésés peuvent agir conjointement contre le garant et le promoteur pour obtenir une réparation intégrale de leurs préjudices.
Ces différentes décisions montrent que les tribunaux adoptent une position très stricte à l’égard des garants qui ne respectent pas leurs obligations. Les acquéreurs en VEFA disposent donc de recours juridiques solides pour obtenir réparation en cas de retard ou de refus de financement de la part du garant.
4. Les recours possibles pour les acquéreurs
Si le garant retarde ou refuse de financer, les acquéreurs disposent de plusieurs recours :
A. Mise en demeure du garant
- Première étape : Envoyer une lettre de mise en demeure (par LRAR) au garant, lui rappelant :
- Ses obligations légales (art. L. 261-1 CCH).
- Les conséquences de son retard (frais de relogement, pénalités).
- Un délai raisonnable (ex. : 15 jours) pour régulariser la situation.
- Exemple de formulation : « Nous vous mettons en demeure de libérer sans délai les fonds nécessaires à l’achèvement du programme [Nom du programme], conformément à vos obligations légales (art. L. 261-1 CCH). À défaut, nous nous réservons le droit d’engager des poursuites pour obtenir réparation des préjudices subis. »
B. Action en justice pour responsabilité contractuelle
Si le garant ne réagit pas, les acquéreurs peuvent l’assigner en justice pour :
- Condamnation à libérer les fonds (si le chantier n’est pas encore achevé).
- Indemnisation pour :
- Frais de relogement (factures d’hôtel, loyers temporaires).
- Pénalités de retard (si prévues dans le contrat de VEFA).
- Privation de jouissance (préjudice moral).
- Exécution provisoire du jugement pour éviter les recours dilatoires.
→ Le tribunal pourra condamner le garant à payer solidairement avec le promoteur.
C. Saisine du juge des référés
En cas d’urgence (ex. : risque d’abandon de chantier), les acquéreurs peuvent saisir le juge des référés pour :
- Ordonner au garant de libérer les fonds sous astreinte.
- Nommer un mandataire ad hoc pour reprendre le chantier (si le promoteur est en faillite).
Exemple : Dans une affaire jugée par le Tribunal judiciaire de Bordeaux (2021), des acquéreurs ont obtenu une ordonnance de référé contraignant le garant à déblocier les fonds sous astreinte de 1 000 € par jour de retard.
5. Pourquoi cette problématique est de plus en plus fréquente ?
A. Hausse des faillites de promoteurs
Depuis 2022, le secteur immobilier traverse une crise sans précédent :
- Baisse des ventes (-30 % en 2023 selon la FPI).
- Hausse des taux d’intérêt, rendant les projets moins rentables.
- Multiplication des faillites : plus de 500 promoteurs en difficulté en 2023 (source : Fédération Française du Bâtiment).
→ Résultat : Les garants d’achèvement sont de plus en plus sollicités, mais certains tergiversent, craignant des pertes financières.
B. Pénurie de mandataires ad hoc
En cas de faillite du promoteur, un mandataire ad hoc doit être nommé pour reprendre le chantier. Or :
- Il n’y a pas assez de mandataires disponibles (seulement une centaine en France pour des milliers de chantiers).
- Les délais pour en nommer un peuvent atteindre plusieurs mois, aggravant les retards.
→ Les garants, censés intervenir en urgence, retardent parfois les déblocages en attendant une solution.
6. Conclusion : Le garant d’achèvement n’est pas intouchable
Le garant d’achèvement en VEFA a une obligation de résultat : il doit financer l’achèvement sans délai, même en cas de défaillance du promoteur. Les acquéreurs qui subissent un préjudice du fait d’un retard ou d’un refus de financement disposent de recours efficaces :
- Mise en demeure du garant.
- Action en justice pour obtenir réparation (frais de relogement, pénalités, privation de jouissance).
- Saisine du juge des référés en cas d’urgence.
La jurisprudence est claire : un garant qui ne joue pas son rôle peut être condamné à indemniser les acquéreurs. Avec la multiplication des faillites de promoteurs et la pénurie de mandataires ad hoc, cette problématique va devenir de plus en plus fréquente. Les acquéreurs doivent donc être vigilants et agir rapidement en cas de retard du garant.
Besoin d’aide ?
Si vous êtes acquéreur en VEFA et que votre garant retarde le financement, n’hésitez pas à consulter un avocat spécialisé pour engager les démarches nécessaires. Les recours existent, et la jurisprudence est favorable aux acquéreurs.
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