Madame V achète en VEFA un appartement. En mars 2017, elle signe chez le notaire, l’acte de vente prévoit que la livraison interviendra au plus tard le 30 juin 2018. Mais rien ne va se passer comme prévu… Et, en juin 2019, Madame V- qui avait pourtant fait preuve de beaucoup de patience et de compréhension – décide de confier son dossier à un avocat expert en VEFA et de porter l’affaire devant un Tribunal. Le jugement intervient en décembre 2021
La procédure devant le Tribunal va durer 2 ans et demi et peut-être davantage si elle se poursuit devant la Cour d’appel… Mais Madame V a enfin été entendue par un juge. Les magistrats considèrent que ls arguments du promoteur ne sont pas sérieux et qu’il a tellement manqué à ses devoirs vis-à-vis de sa cliente que la vente doit être annulée aux torts exclusifs du promoteur.
Cette décision est aussi intéressante car elle nous donne une idée de la manière dont le confinement justifie ou pas un retard de livraison en VEFA.
Sommaire
Une procédure mais un prêt « gelé »
Les acquéreurs qui subissent un retard de livraison important peuvent obtention le « gel » du prêt qu’ils ont souscrit pour financer cette acquisition. Dans le cadre d’une procédure judiciaire, cette suspension peut être obtenue en quelques mois.
L’emprunteur n’est plus obligé de rembourser le prêt. Cette suspension se fait sans pénalités, ni intérêts. L’emprunteur ne sera évidemment pas inscrit au FICP, il pourra donc contracter d’autres emprunts au besoin. En revanche, les primes de l’assurance emprunteur devront toujours être payées.
Quel délai de retard pour annuler la vente ?
Dans leur décision, les juges ont rappelé quelques principes :
- Seuls les événements survenus après la signature de l’acte de vente en VEFA chez le notaire peuvent être invoquées avec le promoteur,
- Les causes de retard doivent être justifiées par une attestation établie par l’architecte (i.e. le maître d’œuvre) comme prévu dans l’acte de vente. Autrement dit, le promoteur ne peut se contenter d’attestations qu’il établirait lui-même.
Par conséquent, les événements antérieurs à l’acte de vente ou non correctement justifiés, ne constituent pas des causes légitimes de retard.
Dans ce dossier, le Tribunal a considéré que 15 mois de retard sur les 36 mois de retard au total étaient mal ou non justifiés. Les juges ont estimé que c’était suffisamment grave pour justifier l’annulation de la vente. Qu’en serait-il si le retard n’était « que » d’un an dont 6 mois non justifiés ? Il n’existe pas, dans la jurisprudence de règle, de ratio « retard non justifié / retard total ». Tout est ici question d’appréciation et de mesure.
L’autre mérite de cette décision est de se prononcer sur la question du confinement.
Confinement et retard de livraison
La crise sanitaire, l’état d’urgence sanitaire et le confinement sont régulièrement évoqués par les promoteurs comme des « causes légitimes » de retard. Mais est-ce bien légitime ?
La réponse du tribunal est nuancée et donc pertinente. Les juges estiment que le confinement a suspendu le chantier entre le 16 mars 2020 et le 11 mai 2020, soit pendant un mois et 25 jours. Mais les juges n’excluent pas que l’interruption du chantier ait pu être plus longue. Si c’est effectivement le cas, le promoteur doit le justifier. Il ne lui suffit d’invoquer le confinement, le Covid, etc. pour allonger à sa convenance le délai de livraison.
Et cette solution doit être saluée. Si la crise sanitaire et ses conséquences, sur les approvisionnements notamment, a réellement un impact sur un chantier, le promoteur doit le document, notamment via les compte-rendu de chantier, et son maître d’œuvre doit pouvoir en attester comme le prévoient les actes de vente en état futur d’achèvement. Sans de tels justificatifs, le promoteur ne pourra utiliser la crise sanitaire pour justifier quelque retard que ce soit.
L’annulation de la vente mais pas de dommages-intérêts
En définitive, la vente est annulée en raison du retard. Madame V va récupérer les sommes qu’elle a versées au promoteur et celui-ci va pouvoir revendre l’appartement.
Madame V doit bien sûr devoir restituer à la banque les sommes qu’elle lui avait prêtées. En revanche, elle n’aura pas à payer d’indemnité de remboursement anticipé.
Madame V sera indemnisée par le promoteur d’une grande partie des frais qu’elle a engagés : intérêt bancaires, frais d’assurance, etc.
En revanche, son préjudice moral n’est pas reconnu, mais on retrouve là une « tradition judiciaire » bien française qui n’est pas très généreuse en matière d’indemnisation par les promoteurs immobiliers.