La suspension des loyers a été annoncée par le Président de la République lors de son allocution du 16 mars 2020. Les conditions de la « suspension des loyers » ont ensuite été précisées par une ordonnance (Ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020).
Précisions tout d’abord que cette mesure ne concerne pas le bail d’habitation, les locataires de logements doivent continuer de régler normalement leurs loyers. La seule règle modifiée en raison de la crise sanitaire est relative à la trêve hivernale, prolongée jusqu’au 31 mai 2020.
La suspension des loyers ne concerne donc que les baux professionnels et commerciaux. La mesure de « suspendissions des loyers » pourra donc bénéficier à des entreprises qui louent leurs bureaux, à des commerçants locataires au titre d’un bail commercial, à des professionnels libéraux : kinésithérapeutes, avocats, etc.
Cette mesure, exceptionnelle, vient bouleverser les règles habituelles, chambouler le contrat de bail à tel point que l’on ne peut que recommander de s’entourer des conseils d’un avocat expert en relations propriétaire-locataire) pour la mettre en œuvre, que l’on soit propriétaire bailleur ou locataire.
Le dispositif adopté dans l’urgence permet de rassurer les entrepreneurs, les commerçants les plus durement touchés par les mesures prises pour limiter la propagation du virus (la fermeture administrative par exemple des commerces « non essentiels », le confinement de la population), mais il ne règle pas tout.
En particulier, il faut bien réaliser que la suspension des loyers n’est pas une franchise ou une exonération de loyers, mais simplement un décalage de règlement et qu’elle ne concerne que les « petites » entreprises effectivement touchées par la crise.
Et, surtout, il faut penser à l’après, l’organiser dès à présent pour concilier les intérêts du bailleur et la poursuite de l’activité du locataire.
Nous vous proposons donc :
- Un focus sur les conditions de la « suspension des loyers »,
- Et nos recommandations pour la mettre en œuvre.
Sommaire
Suspension des loyers : ce que prévoit le texte
La mesure en elle-même
La « suspension des loyers » vaut pour les loyers qui devaient être réglés dans une période comprise entre :
- Le 12 mars 2020
- Et les 2 mois qui suivront la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Autrement dit, lorsque le loyer est payable d’avance, par trimestre, le 2ème trimestre 2020 est concerné par la mesure, voire même le 3ème trimestre si l’état d’urgence sanitaire est prolongé au-delà du 1er mai 2020.
Le texte adopté le 25 mars 2020 ne prévoit pas une dispense de paiement des loyers pendant cette période. Une telle mesure aurait été lourde de conséquences pour les propriétaires, spécialement ceux qui doivent rembourser un prêt immobilier ou pour qui le loyer versé est un complément de retraite, lorsqu’ils ont réalisé un investissement immobilier locatif, par exemple.
Ce que prévoit le texte, c’est la possibilité pour le locataire de suspendre le paiement du loyer – pendant cette période – sans en subir les conséquences habituelles : pénalités, risque de rupture du contrat, etc.
Ainsi, pendant cette période, si le locataire éligible ne paye pas son loyer, le propriétaire ne pourra lui appliquer aucune pénalité financière, ni lui réclamer de dommages-intérêts. Le bailleur ne pourra pas non plus utiliser la clause résolutoire, c’est-à-dire mettre fin au contrat, même si le bail prévoit que le propriétaire peut le résilier en cas d’impayé.
Enfin, le propriétaire privé de loyer ne pourra pas davantage se retourner contre la caution du locataire pour lui demander de payer en ses lieu et place.
Cette mesure de « suspension des loyers » concerne également les charges de copropriété dues par le locataire. Le propriétaire devra en revanche continuer de payer ses charges de copropriété sans bénéficier d’aucune mesure de suspension.
Les entreprises concernées
Les entreprises qui pourront bénéficier de cette mesure de « suspension des loyers » sont les mêmes que celles qui seront éligibles au fonds de solidarité.
Il s’agit des personnes physiques ou morales, de droit privé, exerçant une activité économique : un commerçant exerçant en nom propre, un artisan, un professionnel libéral, une société commerciale, etc.
Les entreprises éligibles sont celles qui remplissent les critères suivants :
- Être une T.P.E., un indépendant, une micro-entreprise ou un professionnel libéral,
- Employer entre 0 et 10 salariés,
- Un chiffre d’affaires annuel inférieur à 1.000.000 €,
- Un bénéfice annuel inférieur à 60.000 €,
- Faire l’objet d’une fermeture administrative ou enregistrer une perte de chiffre d’affaires de 50% par rapport à mars 2019.
pour bénéficier de cette mesure, le locataire doit adresser à son bailleur :
- Une déclaration sur l’honneur attestant du respect des conditions rappelées ci-dessus,
- Et l’accusé-réception du dépôt de sa demande d’éligibilité au fonds de solidarité.
Suspension des loyers : nos recommandations
Du dialogue et de l’anticipation.
Locataire et propriétaire ont, dans la grande majorité des cas, intérêt à la poursuite du bail, ce qui suppose la poursuite de l’activité du locataire. En effet, si le locataire fait faillite, le propriétaire connaîtra a minima une période d’incertitude quant au paiement des loyers et, au pire, plusieurs mois sans aucun loyer.
Nous recommandons donc aux propriétaires et aux locataires d’échanger sur le sujet et, surtout, de préparer « l’après ».
Imaginons en effet un salon de coiffure qui pourra suspendre le paiement de son loyer pendant 2 trimestre sans encourir de pénalités. Il devra, après la fin du confinement, recommencer à payer les loyers courants et apurer sa dette locative. Autrement dit, au 1er octobre 2020, il devra régler 3 trimestres de loyers et de charges, le pourra-t-il au regard du chiffre d’affaires qu’il réalisera entre la réouverture du salon de coiffure et le 30 septembre 2020 ?
Que se passera-t-il alors ?
Si le locataire effectue des paiements partiels, ceux-ci seront imputés sur les dettes les plus anciennes, c’est-à-dire les loyers des 1er et 2ème trimestres 2020. Une fois ces loyers réglés, les sommes versées par le locataire seront affectées au règlement du loyer du 3ème trimestre et des trimestres suivants.
Ainsi, dès qu’il reprendra les paiements, le locataire paiera les loyers de la période de confinement. Il continuera de devoir les loyers postérieurs à cette période et, pour ces loyers, il ne bénéficiera plus de la mesure interdisant au propriétaire de réclamer des pénalités de retard, de mettre fin au contrat ou d’actionner la caution.
L’idéal serait donc de convenir, dès à présent, des modalités de reprise de règlement des loyers, d’apurement de la dette locative, idéalement par un avenant au contrat de bail.
Rien n’interdit d’ailleurs d’aller au-delà de la suspension du paiement du loyer et de convenir, par exemple, d’une réduction temporaire du montant du loyer, avec ou sans « rattrapage » ultérieur, d’une résiliation anticipée du bail si les 2 parties y trouvent leur intérêt. Dans tous les cas, l’on ne peut que recommander à chaque partie au contrat de bail de dialoguer en gardant à l’esprit que de la qualité de ce dialogue dépendra la qualité de leurs relations ultérieures.